Vendredi 9 janvier,9h10, je suis avec mon bol à la main en train de contempler l'horizon, le Verdon et le plateau de Valensole, le soleil déjà haut. Je viens de courir 15 mn, avec la lumière du soleil qui illumine le paysage. J'admire la beauté de ce monde. C'est ça, ce matin, je mesure la chance que j'ai d'admirer la beauté de ce monde. De m'y déployer. De m'y relier.
Cette chance, 12 autres ne l'ont plus.
J'ai commencé par écrire « Non parce que leur corps souffrant avait atteint une limite. Non parce que leur moral miné les en avait éloignés. Mais parce que d'autres l'ont décidé. » et là, je me rend compte qu'en écrivant ces mots, en attribuant un fait à une stratégie, je m'englue dans le système de violence que je prétend dénoncer, je contribue à l'alimenter.
Que puis-je écrire en girafe sur un attentat ?
Parler de la peur des conséquences de cet événement sur notre société déjà bien plus « placée sous video-surveillance » qu'à mon goût. De mes aspiration à la liberté, à la tolérance.
Citer Martin Luther King nous offrant sa conception de la non-violence.
Faire savoir qu'au-delà de l'usage punitif de la force, il existe l'usage protecteur de la force. Parler de mon aspiration à incarner cette force-là. Et de mon désarroi aussi pour le faire, bien souvent.
Me souvenir que Marshall B. Rosenberg a mis 20 ans avant de pouvoir imaginer un dialogue empathique avec Hitler, et qu'à un moment, c'est devenu possible pour lui de se relier à l'humanité même de cet homme-là, de partir en quête des besoins que pouvaient bien satisfaire la stratégie de la guerre et des camps d'extermination.
Parler de mon élan de compassion pour les exécutants de l'attentat. Pour parvenir à un acte pareil, quelles blessures restées béantes ...
Parler de la sidération, de la nausée qui m'ont serrée le cœur.
De ma tristesse de voir des hommes tués. En général. Et en particulier, des hommes qui m'ont fait sourire, rire avec leurs dessins. Qui m'ont permis de comprendre en un instant des travers de notre monde. Qui m'ont rassurée sur le fait que tant qu'ils avaient droit de cité, ce monde était libre. Parce j'aspire profondément à la liberté, la légèreté, la compréhension.
À la créativité.
À l'expression authentique.
À l'acceptation des différences.