C’est un sujet qui me semble capital et sur lequel je suis sidéré par les résultats obtenus en adoptant une attitude très éloignée de celle qui me semblerait naturelle et spontanée.
Voici deux anecdotes qui m’ont fortement marqué et me semblent éclairantes sur la prise en compte des pleurs de Titouan.
Notre maison secondaire est équipée d’un canapé convertible futon (premier prix d’une marque scandinave bien connue) que Titouan avait pris l’habitude d’escalader lorsqu’il avait environ dix mois, pour se laisser redescendre sur le sol, la tête la première, ses bras servant d’amortisseurs. Une amie le voyant faire, en maman expérimentée, m’alertait sur le danger qu’elle y voyait. Je la rassurerais illico « T’inquiètes pas, il maîtrise, il l’a fait des dizaines de fois ». Je me sentais rempli de fierté par l’agilité de mon bambin et j’avais envie de montrer que l’on pouvait encourager un comportement téméraire sans être un papa irresponsable. J’avais juste manqué un détail d’importance : notre amie, en plus d’être une maman expérimentée, était aussi une femme d’intérieur accomplie (ça va souvent de paire, vous avez remarqué ?). Or, elle avait dormi dans le canapé-lit et l’avait donc consciencieusement replié, le bord du futon n’était donc plus à pendouiller comme d’habitude au-dessus du sol et trônait 10 bons centimètres plus haut qu’à l’accoutumée. Et 10 cm pour un loulou de 10 mois, ça fait une grosse différence. Je vis donc, stupéfait, mon fils glisser du divan sans pouvoir se retenir et s’écraser la tête la première sur le carrelage du séjour…
Ma deuxième expérience marquante se déroula quelques mois plus tard, alors qu’il avait mérité son titre de bipède à part entière. Il jouait dans sa chambre près de son armoire quand je le vis reculer un pied et le poser de tout son poids sur une balle ou ballon. Le résultat fut digne d’une séquence Tex Avery, son corps parti en vol plané transférant instantanément son poids vers la partie alors la plus basse de son anatomie : sa tête. Tête qui croisa sur son trajet, et vint s’écraser contre, la porte de son armoire. Du bois, même en contreplaqué, ça calme. Enfin, le type de calme qui précède la tempête qui ne manqua pas de se déclencher sous forme de hurlements à pleins poumons.
Pour vous permettre de comprendre ma réaction, qui sinon, je le crains risque de vous paraître bien étrange, je vous propose une synthèse des principes de fonctionnement que je m’efforce de mettre en œuvre face à ces situations de crise. Ils doivent beaucoup aux différents auteurs cités en bibliographie.
En tant que parent, confrontés aux pleurs voire hurlements de nos bambins, nous oscillons, la plupart du temps, entre deux attitudes type ; «N° 1 : mais non, ce n’est rien, tu n’as pas mal, tu es un grand, soit fort, … » et « N° 2 : Oulla la, mais tu as du te faire très mal, c’est affreux, ho là, là, c’est grave mon pôvre chéri, viens que je te console ». Chacune cherche à aider notre enfant à traverser ce moment douloureux et, en même temps, à calmer les cris, pour nous permettre de faire le bilan des dégâts. Toutefois, je trouve des limites importantes à l’une et à l’autre. Si je m’arrête sur la 1ère attitude, elle me semble mettre mon enfant face à un dilemme insoluble dont il ne pourra que sortir affaibli. Je m’explique. Personnellement, il suffit que je repense à la dernière fois où je me suis coincé la main dans une porte ou donné un coup de marteau sur les doigts pour ressentir le souvenir genre « décharge 100 000 volts » du message de douleur qui me parcours le bras. En clair : ça fait mal ! Si au moment où mon petit bout vit une expérience similaire (avec donc des sensations que je peux imaginer aussi intenses, qui plus est doublées peut-être d’une incompréhension de ce qui lui arrive ou pour le moins d’une incapacité à verbaliser et rationaliser son ressenti), je lui délivre un message de type « ça fait pas mal », il me semble qu’il n’a le choix qu’entre deux attitudes : soit considérer que son père a raison et tirer la conclusion qu’il ne peut pas faire confiance aux signaux(pourtant explicites) que lui envoie son corps ; soit considérer que son corps a raison et donc enregistrer que le discours de son père n’est pas crédible. Je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que les branches de l’alternative semblent toutes deux dommageables à terme.
Si je me mets dans l’état d’esprit de la 2ème attitude, j’y vois en partie une envie de se rassurer soi-même en se donnant un rôle de sauveur/consolateur. Je ressens aussi ce besoin d’être rassuré, simplement je crains qu’en adoptant cette attitude mon réconfort se fasse au détriment de celui de mon fils : d’une part, je suis en partie tourné vers moi, or c’est lui qui souffre, d’autre part je lui apprends qu’il a besoin d’une autre personne pour traverser les épreuves plutôt que de puiser en lui les ressources pour surmonter sa peine. Super tout ça, mais ça nous laisse quoi comme choix possible ? Et bien, accepter sa douleur, l’aider à l’accueillir en mettant des mots dessus ainsi que sur les autres émotions qui peuvent l’envahir et lui faire confiance pour trouver en lui les ressources pour dépasser ce moment désagréable. Concrètement, dans les deux cas cités et les nombreuses autres situations semblables, je prends Titouan dans mes bras et j’alterne les phrases de prise en compte « Oh là, tu dois vraiment avoir mal ; ça doit être très douloureux, je comprends, …. » avec les hypothèses sur ce qu’il peut ressentir d’autre « tu as dû avoir très peur… ; être surpris de partir en arrière/en avant …; est-ce que tu es en colère de n’avoir pas fait attention … » etc, etc.
Une partie de moi, surtout les premières fois ou dans des cas comme ceux que je vous ai rapportés, ne peut pas s’empêcher de penser que j’ai vraiment l’air ridicule, que la situation mériterait une action plus énergique et plus concrète(« et s’il s’était cassé quelque chose » « mon chéri, j’aimerais juste que tu n’aies pas mal, que tu arrêtes de pleurer, que tu ne soies tout simplement pas tombé, que j’ai été plus rapide, plus attentif pour éviter que tu te fasses mal, …. »). Bref, d’avoir peur de ne pas faire, ou de n’avoir pas fait, ce qu’il faut.
Pourtant l’expérience m’a montré qu’au bout d’un temps relativement cours (difficile à évaluer, mon premier réflexe n’étant pas de trouver un chronomètre, mais que j’estime de façon quasi-certaine à moins d’une minute, et plus vraisemblablement 30 secondes), Titouan se calme, sa respiration se fait plus ample et ses pleurs se tarissent aussi abruptement qu’ils étaient apparus. Ils m’apparaissent comme une douche bienfaisante qui lave l’incident et son cortège d’émotions et le laisse frais et dispo pour reprendre ses activités. Pour l’exemple du canapé, il remontait d’ailleurs lui-même dessus quelques minutes plus tard, sans que j’aie besoin de l’y encourager. Il n’a pas marqué depuis la moindre réserve à escalader ou gravir les meubles, escaliers, vélos ou autres hauteurs qui lui semblent intéressantes à explorer.