Utilisateur:Nathalie Dard/Marcher ensemble vers le conflit
Une justice pérenne : marcher ensemble vers le conflit
Rendre la justice Notre système actuel tente de prendre soin des victimes de manière à ce qu'elles sortent pleinement soulagées d'un procès dont le verdict établit une sanction infligée à un coupable. Dans les faits, ce n'est pas ce que l'on entend en terme de satisfaction. De nombreuses victimes éprouvent de la frustration et trouvent que peu de place leur a été consacrée dans la manière dont les choses se sont déroulées et, selon elles, la réponse qui a été apportée n'est pas profondément satisfaisante. Souvent elles expriment ce qu'elles auraient souhaité à la place. Elles auraient aimé que leur souffrance actuelle et passée soit entendue et comprise par l'auteur de l'acte. Elles désirent comprendre ce qui a motivé cette personne à agir. Et enfin, elles veulent que cela n'arrive plus jamais. Même si notre système de sanction essaie de prendre en compte ces objectifs, les réponses parfois inadaptées entretiennent un cercle vicieux de violence. Il y a un déplacement du besoin initial d'empathie de « je voudrais que l'autre ressente la souffrance que j'ai éprouvée » vers « je veux que l'autre paie pour qu'il souffre autant que j'ai souffert ». La restauration du sens ne se fait pas car la prise de conscience est limitée : moins l'auteur reconnaît sa responsabilité et plus il a de chance d'obtenir une sanction moins lourde. Ainsi la sécurité de fond à laquelle aspire la victime est loin d'être établie. Quand l'auteur a fini de « payer » pour sa faute, il se sent lui même victime de violence. Il n'a pas eu les moyens nécessaires pour l'aider à reconnaître la responsabilité de ses actes. Il sort de ce temps de sanction accomplie sans élan à participer au bien-être et à la sécurité de tous. Comment pourrait-il en être autrement ?
Une alternative à la justice punitive
Ayant pour objectif de prendre soin des victimes et plus largement du bien-être de la communauté, dans les favelas de Rio, quelques personnes dont Dominic Barter, ont choisi de créer un système de justice durable. Elles l'ont appelé « système restauratif ». Pour rompre ce cercle vicieux de la violence, elles ont préféré mettre en place des « Cercles Restauratifs ».
Dans ces Cercles, les objectifs sont les mêmes. Il s'agit d'offrir un espace de compréhension mutuelle, puis un temps ou chacun va pouvoir reconnaître sa part de responsabilité dans la manière dont les choses se sont produites et enfin toute la communauté impliquée va élaborer un plan d'action dans lequel chacun va pouvoir trouver du sens et la satisfaction de ses besoins. C'est cela qui, selon cette communauté, offre la satisfaction la plus profonde et durable en terme de justice. Cette façon de s'occuper des conflits a été si satisfaisante que d'autres groupes, institutions, et personnes s'en sont saisis et que ce type d'expérience fleurit et se généralise à plusieurs endroits du globe, tant la soif de justice se fait pressante. On peut entendre, lors d'une interview, la maman d'une jeune femme qui avait été violée et tuée dire en parlant de l'agresseur de sa fille « bien sûr, j'ai envie qu'il s'en sorte ! » Comment imaginer une pareille phrase sans une restauration complète préalable des personnes ? Ce serait impensable !
Aller à contre-courant La particularité de ces prises en charge des victimes, et de toutes les personnes impliquées dans l'acte qui a été commis, c'est qu'elles fonctionnent à l'opposé de la forme habituelle. Généralement, nous préférons nous éloigner des conflits, mettre à distance la souffrance éprouvée. On veut bien faire endurer quelque chose à l'agresseur, mais on a tendance à vouloir éviter à la victime d'éprouver des sentiments douloureux. Se faisant on la prive de l'expression la plus salutaire qui aurait pu être la sienne, en ne lui permettant pas de dire à l'auteur de l'acte tout ce qu'elle souhaite qu'il entende, et on la prive aussi d'entendre tout ce que ce même auteur a à exprimer sur le sujet. Le propos est donc de mettre en présence les auteurs et récepteurs de l'acte en offrant le maximum de sécurité nécessaire à cette expression. Comme il ne s'agit jamais d'un « entre deux » mais d'un conflit bien plus large qui occupe d'autres personnes, elles aussi impliquées, elles participeront à cette rencontre et disposeront de tout l'espace nécessaire pour faire entendre leur point de vue. La proposition est donc de rapprocher tous les membres de la communauté impliqués , dans un espace sécurisé, afin qu'ils contribuent tous à cette expression, cette prise de responsabilité et augmentent ainsi la qualité du plan d'action.
Etre attentif à quoi ou plutôt à qui ? Dans la justice classique on passe beaucoup de temps à établir les faits pour savoir sur quoi va porter la sanction (en qualité et en durée) du coupable. Dans la justice restaurative l'accent est mis sur la Personne. Les Cercles Restauratifs sont essentiellement centrés sur la manière dont les personnes impliquées ont vécu l'acte, car c'est là l'essentiel de ce qui a besoin d'être restaurer. Et l'expérience montre que prendre soin de certaines personnes et pas d'autres ne contribue pas à une restauration pleine et entière. Dans une situation de harcèlement en milieu scolaire, quelle n'a pas été la stupéfaction des participants à un Cercle Restauratif de réaliser que la jeune fille qui « terrorisait » tout le monde et faisait vivre des actes humiliants à une autre élève, ancienne amie, avait elle-même été harcelée pendant quatre auparavant dans l'isolement le plus total ? … ou d'entendre que la soi-disant coupable avait, avant d'accomplir ces actes, été trahie par cette ex-amie ? … qu'elle ne pouvait mettre sa confiance dans aucune institution et aucun adulte pour obtenir réparation de ce qu'elle avait enduré ? La répétition n'est pas la solution et bien loin de notre propos de vouloir « excuser » les agresseurs. Mais n'est-il pas important que ces souffrances puissent, elles aussi, être entendues pour trouver d'autres formes d'expression que : « je vais faire souffrir d'autres pour que soit révélé à quel point j'ai souffert moi-même » ? Les Cercles Restauratifs ont pour but de remettre la Vie, qui essaie de se dire à travers les conflits, au centre de ces rencontres et de redonner la parole aux personnes, à toutes les personnes, afin qu'elles retrouvent intégrité, dignité, humanité et pourvoir sur leur vie... qu'elles renouent avec leur élan de contribuer au bien-être commun au lieu de nourrir rancœur, violence et désespoir.
Une forme créée par et pour la communauté Prendre en charge les victimes, cela se fait avant même que les actes ne soient commis. Il s'agit d'établir un système restauratif à l'intérieur d'une communauté. « On entend par communauté, les personnes dont les décisions ont un impact direct, viscéral sur votre bien-être » D. Barter. Chacun, lorsqu'il y vit un conflit sait, à priori, qu'il peut initier un Cercle Restauratif et solliciter un facilitateur pour cela. Personne ne peut l'empêcher d'initier ce cercle s'il en éprouve le besoin. De plus, un autre membre de la communauté, ou même l'auteur de l'acte peut initier ce cercle... toute personne qui éprouve un malaise sur la manière dont les choses se sont déroulées. Le facilitateur n'est pas un expert extérieur à la communauté mais un de ses membres. La condition pour être facilitateur est d'être assez disponible émotionnellement pour offrir à chaque participant empathie et « omnipartialité ». Chacun est assuré que ce qu'il a besoin d'exprimer sur le sujet va être pris en compte. Toutes les conditions de sécurité sont mises en œuvre pour permettre à chaque personne invitée de pouvoir y participer. Un soin tout particulier est accordé au choix du lieu, à sa neutralité, à la sécurité qu'il procure afin que chacun s'y sente à l'aise. Lors d'un avant Cercle, l'initiateur dit au facilitateur quelles sont les personnes dont la présence est nécessaire. Toute personne invitée aura la possibilité d'en convier d'autres pour participer à cet espace restauratif. Celles qui ne souhaitent pas se rendre à cette rencontre seront remplacées par un facilitateur, afin que leur point de vue puisse être représenté. A la fin d'un Cercle, au bout d'un délai établi par les participants, il y a aussi un après Cercle pour permettre d'évaluer le degré de satisfaction du plan d'action et les éventuelles améliorations possibles.
Une sagesse ancestrale
Beaucoup de personnes de diverses cultures font part de formes proches de celle des Cercles Restauratifs dans leur communauté, telles les arbres à palabres en Afrique. Ces processus sont particulièrement soucieux de prendre soin des personnes. Ils contribuent à restaurer le sens et le lien social. On sait aujourd'hui qu'ils participent à faire baisser le taux de récidive. C'est cette prise en charge globale de toutes les personnes impliquées qui fait l'efficacité du processus.
Comment prendre plus soin des victimes passées et à venir qu'en adoptant un système de Justice qui offre cette pérennité ?