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La CNV à l'Ecole

Révision datée du 12 août 2013 à 23:33 par Isabelle Gras (discussion | contributions) (Retrait de la catégorie Catégorie:Primaire (avec HotCat))
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Retour de module 1

Lundi matin : Ce week-end, je me suis offert un stage de Communication Non Violente. Quel joli cadeau. C’est pour cela que ce lundi matin, je suis sur un nuage euphorique et une joie me pousse à l’école. Je suis impatiente d’aller expérimenter tous ces trésors appris. Sur le chemin de l’école, je chante: c’est la promesse d’un nouveau jour. Depuis combien de temps n’avais-je pas senti cette légèreté en me rendant au travail ? Et les voilà, mes chers élèves. Nous ne sommes pas montés en classe que déjà, je les regarde avec un oeil tout neuf. Et c’est parti pour une première journée de voltige en langage girafe. L’accueil, ce moment si banal dont on pourrait oublier l’importance : je prends quelques pas d’élan et je me lance. « Aujourd’hui je me sens joyeuse de vous retrouver les enfants et j’ai très à cœur de passer une bonne journée avec vous. » Dans ma tête je pense à demain, je leur demanderai comment ils se sentent eux aussi. L’énergie du module 1 m’accompagne. Je suis portée par les refrains du week-end. Et dans une maladresse pataude je me lance d’un pas timide dans la danse : « Je me sens ..... » « Est-ce que tu te sens fâchée par ce que.... » Je fais des exercices toute la journée. Je girafe, je girafe. C’est étrange comme sensation. Au fur et à mesure que la journée avance, je perçois de moins en moins de clarté dans mes paroles. Je m’embrouille dans les besoins, les sentiments... J’ai de plus en plus de mal à faire ces phrases de girafe et en même temps sous cette fatigue jaillit peu à peu une incroyable légèreté physique. Je me sens toute papillonnante alors que la fin de la journée de travail est là !

J’ai besoin de plus de clarté dans mes idées, je sens les mots se mélanger dans ma bouche et ma tête alors je m’assois et je souffle : « Les enfants, j’ai besoin de calme pour rassembler mes idées. Je vous propose de nous donner 10 minutes de temps calme. » L’invitation est acceptée avec plaisir. Donc je reprends mon langage de girafe : « Ah je vois que vous êtes contents. » « Ah, oui maîtresse, je vais pouvoir finir mon dessin sur le cahier de production d’écrits. » « Tu aimes avoir un beau cahier, n’est-ce-pas ? » « Ah, oui. J’aime bien faire de beaux dessins. »

J’avais pourtant dit que j’arrêtai mais ça me plaît tellement de parler comme ça que je continue. Mais j’ai besoin de silence intérieur et pendant que les enfants dessinent ou écrivent j’arrête de girafer. La journée se termine paisiblement. Les enfants sortis, je découvre que, sous la confusion, la joyeuse légèreté m’accompagne toujours. Je rentre chez moi à pied. Et je chante.

Avec Etienne RDV à 8 heures avec le père d’Etienne. J’ai préparé tout un discours. Mon objectif est vraiment d’affoler le père cette fois-ci pour qu’il le fasse un peu plus travailler à la maison. Son fils ne sait toujours pas lire. Et je suis inquiète. J’ai préparé le baratin professionnel de routine. Pourtant, j’oublie vite ce que j’étais censée dire. Je commence : « Je suis inquiète car Etienne a de grosses difficultés à l’école. » « Oui mais Etienne se sent bien maintenant. Il est bien dans sa peau. » me répond le père avec légèreté. « Vous êtes content de voir votre fils à l’aise et souriant. » Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à ce moment là que j’ai ravalé tout le discours que j’avais préparé du style « Est-ce que vous vous rendez compte de son niveau en lecture ? ». Je crois que j’ai été si touchée par cette réponse que j’ai eu envie d’établir une vraie connexion sans me soucier de rien d’autre. Et le père continue : «Ah oui. Hier nous avons bricolé une maquette ensemble. C’était un joli moment. » Moi « Vous êtes vraiment satisfait de passer des moments de qualité avec lui et ceci correspond à votre idée de la paternité et de l’éducation. Vous savourez ces bons moments et finalement vous n’êtes pas inquiet que votre fils ne sache pas encore vraiment lire » « Oui. Il a passé des moments si difficiles. » Et de fil en aiguille, j’apprends qu’Etienne est au milieu d’une bataille juridique serrée pour décider de qui sa mère ou son père aura la garde... Je suis surprise de voir vers quelle profondeur me conduit cet entretien. Lors de cette rencontre, je vais avoir la chance de vivre une empathie très intense. La conversation prend un ton de plus en plus intime et visiblement le père d’Etienne me laisse entrevoir son grand bouleversement intérieur. Face à l’émotion de cet homme, je suis là., recueillie dans le silence et la présence. Je suis en lien avec cette souffrance que je sens si proche d’éclater en sanglots : Le père d’Etienne s’essuie les yeux d’un revers de manche. Face à lui, je suis connectée à l’énergie que tout le stage a laissée en moi. Le bain linguistique fait son travail. Je réentends des bribes de phrases venues à mon secours. Je ne suis pas seule, je suis accompagnée. Et je pense à tous ces participants qui chacun dans leur coin ont mis leurs oreilles de girafe ce matin. C’est une expérience intense ancre en moi une triple connection : je suis en lien avec celui qui parle ; je suis reliée à mon cœur et en même temps habitée par l’ énergie collective du week-end. Je suis immobile et je ne baisse pas mes yeux. Je suis là et c’est tout. Et dans ma tête je me répète « La connexion avant le résultat. La connexion avant le résultat. » Je suis connectée à ma panique d’être là face aux larmes naissantes de ce père d’élève mais je décide de ne pas baisser les yeux. C’est un moment de qualité très fort. Etienne, tout près de nous, ne joue plus avec les livres mais il nous regarde du coin de l’œil, interloqué. Après cet entretien, je suis très émue... Très confuse aussi : je pense à tout ce que j’aurai dit avant le stage. J’aurai déblatéré une valse de jugements alarmants, certaine que la peur du père mettrait vite au travail le petit Etienne. Dans la journée, quelque chose a changé dans le regard d’Etienne : quelque chose d’indéfinissable et d’intense. Nous passons la journée à nous observer en silence mais nous ne parlons pas. Nous nous contentons tous les deux de poser notre regard neuf sur l’autre. Le lendemain, je me libère du temps libre pour être seule avec Etienne. Il dessine. Je ne sais plus comment cela est arrivé mais Etienne me dit que les bonhommes sur son dessin sont heureux. « Tu aimes bien dessiner des bonhommes heureux ? » Petit signe de la tête de la part de l’enfant. « Oui c’est vrai qu’ils ont l’air drôlement heureux. Est-ce que tu serais d’accord de me dire pourquoi ils sont si heureux ? » Et nous parlons du bonheur de ces petits bonshommes en bâton, dessinés au feutre épais. Ils dansent en farandoles sous un ciel bleu et un soleil que l’on ne trouve que dans les dessins d’enfant. Je suis heureuse de rentrer dans l’univers du dessin, je suis guidée par les explications d’Etienne : c’est la visite guidée de son univers. Je hoche la tête, un peu inquiète du temps que je ne passe pas avec les autres. Mais je décide de continuer à lui consacrer du temps, rien que pour lui. Je lui demande : « Et toi Etienne, qu’est-ce qui te rendrait vraiment heureux ? » « d’apprendre à lire. » « Ah oui ceci te rendrait vraiment heureux d’apprendre à lire, c’est ça. Est-ce que tu te sens triste de ne pas y arriver ? » « Oui et en plus, je ne sais pas comment faire ? » « Donc toi tu es vraiment embarrassé parce que tu ne vois pas comment faire pour lire et ceci te rend un peu malheureux. » « Oui, je comprends pas vraiment comment on fait. » « ça te paraît tellement difficile que tu te sens vraiment découragé. » Etienne fait oui de la tête. Il est visiblement ému. Je reste silencieuse et j’accompagne cette émotion. Je lui donne un peu de temps et surtout je me retiens pour ne pas précipiter les choses. Quand je le sens prêt, je reprends : « Etienne, est-ce que tu serais d’accord que je t’aide pour apprendre à lire. » Tout surpris, Etienne me regarde et me dit « Ah bon, maîtresse tu voudrais m’aider ? » « Et bien oui, je serai très contente si je pouvais t’apprendre à lire et faire quelque chose pour te rendre plus heureux.  » Sourire. « Qu’est-ce que ça te fait d’entendre ça ? » « Je suis bien content. » Depuis la rencontre avec son père et cette conversation, Etienne se sent concerné par la lecture. Il a démarré très vite. Et je suis étonnée de la rapidité de ses progrès. Il vient tous les jours lire individuellement avec moi. Quand j’oublie de lui donner sa lecture il vient me la demander. J’ai la confiance qu’il rattrapera bientôt ses camarades de classe. Il me dit souvent qu’il est content de venir lire tout seul avec moi. Quand je repense à tout ce que j’ai fais pour impliquer Etienne dans l’apprentissage de la lecture, à tout le temps que j’ai passé pour vérifier son attention pendant les séances collectives, je ressens toute ma fatigue, mon impuissance et mon découragement : j’étais très proche de baisser les bras. Je suis étonnée de constater à quel point la CNV m’a aidé à dépasser l’impasse pédagogique dans laquelle j’étais. C’est un outil puissant qui dans ce cas là m’apporté une grande aide à un moment où j’en avais beaucoup besoin. Edouard a un programme individuel de soutien en lecture. Et je lui consacre du temps tous les jours pour qu’il rattrape son retard. Il est très fier de passer du temps rien qu’avec moi. Il a besoin de proximité.

Avec Steeve : Depuis le début de l’année, avec Steeve je marche sur des oeufs. Pour commencer, je déborde d’énergie et d’attention, et je suis capable d’éviter les débordements. Mais peu à peu, je perds patience et je provoque moi-même quelques situations désagréables. Par exemple, il ne souhaite plus travailler et je l’envoie dans le fond de la classe sur le tapis de jeu. Bien sûr, Steeve résiste et il n’a aucune envie de faire ce que je lui propose (ce que je lui impose, pour être plus honnête). J’ai décidé, sans le consulter, qu’il lirait un livre pour se calmer. A la place il tambourine avec sa règle sur la table : voici la réponse qu’il a choisi de donner à mon exigence. Je suis fatiguée, épuisée, et je supporte tant bien que mal ce bruit. Pourtant je ne dis rien, je laisse s’accumuler en moi la fatigue et l’énervement. Et d’un coup, j’explose dans un cri sans avoir demandé auparavant à Steeve de cesser son jeu. Le garçon est surpris et rentre dans un profond mutisme : une colère silencieuse que je redoute. Je me sens impuissante et désarmée face à ce silence que j’ai moi même provoqué. Avec Steeve je suis déjà arrivée une fois dans cette impasse, avec un refus de coopération très prononcé. Cette fois-là, je suis ressortie de la classe, très en colère et vexée de me sentir aussi désarmée face à un enfant de six ans. Je suis tellement déçue car ma manière de réagir n’a rien à voir avec mon besoin de connection et d’harmonie. Quand les colères de Steeve arrivent, je me sens très oppressée intérieurement. C’est une sorte de fureur qui m’habite moi aussi. Une fureur que je contiens, que j’opprime pour ne rien en laisser paraître, mais elle me laisse une amertume qui m’accompagne plusieurs jours. Je n’aime pas vivre ces moments de tension intense, ce malaise physique oppressant si difficile à canaliser. Dans les crises avec Steeve, tout dépend de ma fatigue et de la pression que je suis capable de supporter : je lutte pour ne pas sombrer dans la violence verbale et je souffre physiquement de ces tensions accumulées. Heureusement le module un arrive à temps pour me donner de l’élan et du tonus. Grâce à cette session d’apprentissage, je me sens revigorée et pleine d’énergie et c’est ainsi que j’ai pu partir à la rencontre d’un nouveau Steeve. La première fois que j’ai vraiment utilisé la CNV avec lui, j’ai réveillé en lui une foudroyante colère, dont je n’ai pas vraiment su quoi faire. Et je me suis sentie très embarrassée et incompétente pour aller jusqu’au bout de cette révolte amorcée. Avant d’agir, je l’avais d’abord observé, observé avec le cœur, en imaginant les besoins d’un garçon de cet âge. Je me suis mis dans sa peau un petit peu, quelques minutes par jour. Cette démarche m’a beaucoup aidé à retrouver l’énergie pour soigner notre relation. Re-connectée avec cet enfant en souffrance, j’étais prête à entrer dans la danse de la communication. Et en observant Steeve, j’ai peu à peu compris que ce garçon avait besoin d’autonomie dans la gestion de son temps de travail. Avant d’en arriver à poser ce regard neuf sur lui, j’avoue que j’étais souvent très inquiète parce qu’il ne travaillait pas toujours quand je le souhaitais, mais il osait parfois refuser le travail. Dans ces moments là, j’étais désarmée et j’ai utilisé tour à tour, le chantage et les reproches. J’avais une classe de CP et il me tenait très à cœur que Steeve sache lire à la fin de l’année. En l’observant, j’ai compris que Steeve se sentait découragé à la vue du travail qui l’attendait. Et ce découragement était souvent à l’origine de nos plus grandes crises, lui campant dans son refus de travailler et moi campant dans mon exigence de le mettre au travail le plus rapidement possible. Connectée à ses besoins et ses sentiments, j’ai pu commencer le dialogue avec lui : « Alors Steeve, j’ai vraiment l’impression que tu te sens découragé devant cette page d’écriture? Elle te paraît bien longue. C’est bien ça ? » Les yeux boudeurs et les lèvres retroussées, Steeve me fait oui de la tête. En l’observant, je peux comprendre que la tension en lui est très élevée. Je décide donc de ralentir mon rythme de paroles. Moi aussi je hoche la tête. J’attends un moment. Et j’entre en empathie, en connexion avec ce découragement, cette colère aussi. Et puis je dis « Ben oui, c’est pas facile. Tu aimerais certainement faire autre chose en ce moment. » « Ben, oui maîtresse, j’aimerais dormir. » « Tu es fatigué, c’est cela. Alors est-ce que tu es d’accord alors pour aller te reposer sur le tapis de jeu et revenir quand tu te sens prêt pour l’écriture. » «oui. » Steeve s’en va sur le tapis de jeu , mais il ne revient pas, ou si lorsque la sonnerie retentit pour la récréation. Je suis un peu en colère car j’aurai aimé qu’il fasse son écriture. Mais quelque chose me dit que pour quelque temps, je dois abandonner mon exigence de résultat. Et je me souviens de la phrase-phare : << En communication non violente, on privilégie la connexion avant le résultat. » Je suis en pleine application pratique d’un théorème qui me réjouissait fort la première fois que je l’ai entendu. Je me sens moins confiante devant la page blanche du cahier d’écriture de Steeve. J’hésite et je pense aux jugements que l’on pourrait porter sur moi si on savait que j’ai laissé mon élève se reposer au lieu de travailler. Mais comme je suis curieuse et que j’ai très envie d’expérimenter les bienfaits de la CNV avec Steeve, je décide d’attacher moins d’importance à ce fait. Les jours suivants, vont être riches en surprises. Je me mets en connexion avec Steeve pour être à l’écoute de son découragement. Et je vois peu à peu s’allumer dans ses yeux la surprise de pouvoir parler avec moi de ce qui me fâchait au plus au point. « J’ai mal aux doigts quand je serre mon stylo..... » C’est une reconquête. Pas à pas, je privilégie la qualité de la relation et j’autorise Steeve à me parler de ses difficultés et de son découragement ; chaque jour j’obtiens un peu plus d’écriture sur le cahier. Quand Steeve se met au travail, il est apaisé et il ne prend plus son crayon dans une colère silencieuse. Le démarrage est toujours long mais je suis contente de le voir apaisé quand il se penche sur ses lignes d’écriture. Un jour je luis dis : « Je suis parfois un peu inquiète Steeve car quand je te vois commencer ton travail 15 minutes après les autres, je ne suis pas sûre que tu ais le temps de finir.>> J’observe et je vois que Steeve a toujours besoin de décider lui-même quand sera le juste moment pour se mettre au travail. Je décode ses besoins, autrement dit, il a besoin d’autonomie dans la gestion de son temps de travail. Je souris, alors finalement nous nous ressemblons lui et moi. Une fois la situation décodée en termes de besoin, j’ai beaucoup plus de clarté pour choisir quelle aide je pourrai apporter à Steeve. Aussi, je lui prête mon chronomètre pour qu’il puisse lui-même gérer son travail. « Steeve, je comprends que tu as besoin de décider toi-même du moment où tu te mettras au travail, c’est bien ça ? Car tout de suite, tu n’as pas vraiment envie de t’y mettre ? » « Oui. » « Je te prête mon chronomètre, et je te demande si tu es d’accord pour me présenter ton travail quand le chronomètre marquera 50. Steeve, j’ai la confiance que tu viendras tout seul car je n’ai pas de montre pour vérifier et toi seul saura quand c’est 50. Je serai très fière de toi si tu me rappelais quand l’heure sera venue. » Je vais aider les autres élèves et j’en ai presque oublié Steeve. Il vient me trouver avec le chronomètre autour du cou, tout fier et souriant. D’un air très sérieux et très impliqué, il me dit : »Maîtresse, c’est 50. » « Steeve, je suis vraiment contente que tu sois venue me trouver. Comment t’es-tu senti pendant ton travail ? » « Bien. » « Je suis curieuse et impatiente de voir ton cahier. » Je regarde le cahier. De sa plus belle écriture, Steeve a presque fini l’exercice. Il lui manque quelques petites solutions. Je suis étonnée de la qualité de son travail. « Maîtresse, je n’ai pas tout fini. <<De combien de temps as-tu besoin pour finir ce travail ? « Quand ce sera 60 sur le chronomètre. » Je lui explique que le chronomètre ne marquera pas 60 mais 00. Il est très content d’apprendre cela. Il est très fier et moi je suis soulagée de voir que je suis capable d’apporter une jolie respiration à ma relation avec Steeve. Un autre jour, Steevy ne veut pas travailler car il est très intéressé par la maison en papier qu’il veut fabriquer. Il regarde plusieurs fois cette maison et au moment où les autres commencent à écrire, il semble très contrarié car il sait qu’il n’aura pas le temps de s’occuper avec sa maison. « Tu es vraiment contrarié parce que tu aurais eu besoin de temps pour construire ta maison en papier ? » . Je suis détendue et je prends le temps de rentrer dans l’univers de Steeve. Je suis émue devant cette maison du bonheur. Je suis sûre que Steeve aimerait habiter sous un si joli toit avec un papa et une maman à ses côtés comme sur le dessin. Ce bonheur de papier est si fragile. Entrer en empathie avec lui m’a permis de voir ce qu’il y avait de plus vulnérable et de plus joli en lui. Je suis très émue par cette rencontre. « Tu es un peu ennuyé Steeve car tu ne sais pas bien si tu préfères travailler ou finir ta maison. Tu aimerais avoir la confiance d’avoir du temps libre après le travail pour continuer la maison, c’est bien ça ? » A ma grande surprise, cette seule conversation suffit pour que Steeve se mette spontanément au travail. Juste un peu d’empathie : deux phrases suffisent. Je suis très fière : dans son regard je lis qu’il m’offre toute sa confiance. Il se sent en sécurité. Il sait qu’il aura le temps dans la journée de continuer son rêve de papier. De mon côté, je suis bouleversée car j’ai eu le plus beau des cadeaux : le regard plein de confiance de Steeve.

Ce qui a changé dans ma manière d’enseigner, comment je me sens : La file de correction : Les enfants sont en file devant le bureau pour la correction des cahiers. Comment je me sens dans ces moments là ? Je me sens stressée car je suis à la fois partagée par mon besoin de faire progresser les enfants-et le besoin d’ordre dans la classe. Ce matin, Hugo et Quentin se pressent à mon bureau. Ils ont fini le travail et souhaitent savoir s’ils peuvent aller chercher un jeu ou un livre. Nous avons pourtant parlé de tout cela ensemble mais je sens que ce matin les enfants ont besoin de clarté et de précisions. De mon côté, je suis agacée car je leur ai déjà expliqué maintes fois comment s’y prendre quand ils ont fini un travail. Je discerne cette petite tempête qui couve en moi. Je me donne de l’empathie « Oui là, tu es vraiment stressée car tu aimerais avoir la confiance en l’autonomie de tes élèves et aussi le calme pour apporter de la qualité dans le temps de correction individuel » Mes oreilles de girafe tournée vers l’intérieur, j’ai retrouvé une détente musculaire ! « Ecoutez les enfants, je préfère arrêter les corrections pour l’instant parce que je me sens agitée. Je ne suis pas à l’aise quand je corrige et que je vois une file d’élèves aussi longue à mon bureau : je suis partagée entre le besoin de passer du temps avec chaque enfant et aussi le besoin de ne pas faire trop attendre. Et j’aimerai avoir la confiance qu’il n’y ait pas de dispute dans la file. Et ce matin je n’ai pas cette confiance. Quand Hugo et Quentin me demandent aussi s’ils peuvent prendre un jeu ou un livre, je ne suis pas sûre d’avoir toute la patience nécessaire pour pouvoir leur entendre. Donc je préfère que l’on s’asseoit et que l’on réfléchisse ensemble pour savoir comment l’on pourrait améliorer ce moment difficile des corrections. J’ai besoin de précision et de clarté » Les propositions des enfants fusent : « On pourrait arrêter la file si elle dépasse la table de Paul. » Pour la bibliothèque, ils ont besoin d’être rassurés : « Oui tu peux aller chercher un livre et un jeu sans le demander à la maîtresse quand ton travail est bien terminé et vérifié par la maîtresse. » « On pourrait décider tout seul si notre travail a été corrigé d’aller dans le coin bibliothèque ou le coin jeu. » « On pourrait dire pas plus de trois enfants sur le tapis car sinon ça fait trop de bruit. » Quand nous sommes d’accord sur un certain nombre de choses : la file ne dépassera pas la table de Paul, pas plus de cinq élèves au coin lecture, et plus de quatre au coin jeu, je leur propose la chose suivante : « Ecoutez les enfants, je suis très contente de notre discussion. J’ai vraiment l’impression d’être aidée pour que l’on se rende la vie de la classe meilleure. Je vous propose que l’on regarde ensemble comment marche nos petites décisions. On se donne 15 minutes pour tester ce que l’on vient de dire. Et au bout de 15 minutes, je serai curieuse de savoir comment on s’est senti. » Les enfants sont d’accord. On s’organise joyeusement. Au début c’est un peu le fouillis car chacun est si content de participer à une meilleure vie dans la classe que tout le monde veut diriger avec sa voix l’autre. Je n’aurai jamais accepté cela avant. Mais je suis tellement joyeuse de leur coopération, que je partage avec eux ce moment de joie. On se prépare un peu comme pour la répétition d’un spectacle. Une fois les choses mises en place, tout se calme très rapidement. Et tranquillement, je corrige les cahiers alors que les enfants qui ont terminé s’organisent. Je suis rassurée sur leur autonomie. Et je les trouve très beaux. Je suis contente de voir que la qualité du temps de correction est meilleure. Je me sens plus disponible, et plus détendue pour revoir les points qui posent problème. Quinze minutes plus tard, je leur propose de se réunir. « Les enfants, je suis curieuse de savoir si vous pensez que la classe a progressé. Et j’aimerais aussi savoir comment vous vous êtes sentis ? « Je me suis sentie joyeuse qu’on a réussi » « J’étais content car j’ai pu me détendre après le travail. » « J’étais tranquille car j’avais le calme pour travailler... » Après cette jolie discussion, je n’oublie pas de reformuler tout ce que nous venons de nous dire : « Alors les enfants si je comprends bien, vous êtes contents car nous avons pu nous occuper de notre besoin de progresser, de notre besoin d’harmonie et de notre besoin de détente. Les enfants je suis très fière de vous. Je me suis aussi sentie très détendue et joyeuse. J’ai la confiance que nous serons capables de recommencer à vivre un bel instant comme celui-là. »


Le fichier page 100 : C’est un jour ordinaire sans sport, anglais ou piscine au programme. Je suis contente d’avoir du temps devant nous et je souhaite le consacrer en particulier aux mathématiques. J’ai besoin de temps pour aborder une nouvelle notion. Quand je leur demande d’ouvrir leur fichier de mathématiques à la page indiquée, j’entends une petite agitation se glisser dans la classe. Je suis un peu inquiète. Sans la CNV, je leur aurai certainement dit quelque chose dans le genre : <<Bon maintenant vous vous taisez et nous travaillons. » Mes oreilles de girafe m’aident à entrer en contact avec ce soubresaut, alors que j’aurai tout fait pour le faire taire il y a quelque temps. « Alors les enfants, vous n’avez pas envie de faire de travailler, est-ce bien ça ? Quand j’entends vos petits cris, je suis un peu inquiète car j’ai peur que vous en ayez vraiment marre des mathématiques. Je suis un peu inquiète et je voudrais en savoir plus. Est-ce que vous voulez bien me dire ce qui vous agite ? » « Et bien, maîtresse, est-ce que tu as vu que l’on est arrivé à la page 100 et qu’elle est d’une autre couleur que les autres ? » « Ah, alors ça vous fait tout drôle que l’on en soit arrivé à la page ! » « Oh, oui. » « Et comment vous vous sentez en ouvrant votre fichier de mathématiques à la page 100 ? » Les réponses arrivent en cascade : « J’ai peur que ce soit difficile. » « Je suis contente car on va apprendre de nouvelles choses. » « Je suis content car le fichier est bientôt terminé. » « J’ai peur de ne pas y arriver. » <<C’est bientôt la fin et j’ai peur de redoubler.>> Moi : «Alors les enfants, je vois que c’est un grand moment pour la classe d’arriver à la page 100 du fichier. Il y a des enfants qui ont un peu peur et d’autres qui sont contents, et peut-être même des enfants qui sont un peu les deux à la fois. Vous avez raison certains exercices dans cette page ne sont pas faciles. Alors je vous demande si vous êtes d’accord pour que la classe toute entière se prépare à bien écouter les explications. Est-ce que vous êtes prêts pour bien vous concentrer maintenant ? » « Oui » Pendant le travail en question, les élèves ont une attention d’une grande qualité. Les enfants posent les questions, ils sont motivés dynamiques et attentifs. Je passe derrière ceux qui hésitent pour m’assurer que tout le monde part sur des bons rails. De mon côté, je suis étonnée de ce qui a pu se transformer dans cette situation. J’étais très surprise de leur réponse et de notre conversation. Physiquement j’ai ressenti que la pression qui montait en moi est retombée pendant notre discussion. Je me suis sentie plus disponible pendant les explications individuelles et je suis sûre que mes explications ont été plus efficaces et mieux reçues. Avec la CNV, j’ai aussi pris l’habitude de demander aux élèves comment ils se sont sentis pendant un travail. Ce jour-là, la fin de la page 100 a été vécue comme un soulagement, une joie ...

Le travail libre : En cheminant avec Steeve, j’ai appris que les enfants ont un grand besoin d’autonomie dans leur travail. Ceci les aide à grandir. Ce grand besoin d’autonomie m’a inspiré car je le sens très présent dans ma vie personnelle, et je me sens joyeuse et confiante quand je le respecte et lui accorde une grande place. Aussi, j’ai voulu offrir à mes élèves un temps de classe pour expérimenter leur besoin d’autonomie. La consigne était la suivante : «  Pendant 20 minutes, vous aurez la possibilité de choisir un travail qui vous fait plaisir. Ce peut-être des mathématiques, de la lecture dans un livre, du travail dans le cahier d’essai, vous pouvez inventer une histoire, faire de la copie.... Avant de commencer, je vous donnerai un petit temps pour bien réfléchir à ce que vous voulez faire. » Nous entamons une conversation « Moi j’aimerais finir de copier mon texte dans le cahier de production d’écrits.. » Chacun élabore son projet et aura le temps de le peaufiner au cours de la journée. Le moment venu, les enfants sont très impatients : « Je vois que vous attendez ce moment de travail libre avec impatience, c’est ça ? » « Oui. » Les enfants qui ont besoin de livres se déplacent. Dans un joyeux remue-ménage, ils s’installent. Une fois que chacun s’est installé, ils commencent tous leur travail avec ardeur. Je me fais toute petite et toute insignifiante devant ce charmant spectacle. Steeve qui a du mal à écrire prend son livre pour copier. Quelle surprise, j’en souris ! Raphaël qui lit à tâtons s’aventure dans la lecture d’un album. Je l’entends lire dans un murmure pendant que j’écris au tableau. Et je suis touchée par son travail. Etienne recopie la lecture de son programme individuel. Jules finit d’inventer son histoire sur les Indiens d’Amérique. Robin s’applique sur son dessin. Valentine finit son alphabet en images. Lisa écrit et elle n’arrête plus d’écrire ; Je suis surprise de voir les enfants s’affairer. C’est l’élan du cœur. Ils sont complètement absorbés par leur travail.

Nathalie Seume 2006