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J'aime jouer. | J'aime jouer. |
Version actuelle datée du 5 avril 2014 à 15:22
Ma contribution à un article sur les jeux compétitifs et coopératifs de la revue bimestrielle Non-Violence Actualité dont voici le site.
J'aime jouer. Et je conçois la vie comme un épanouissement, un plaisir à vivre, dans l'intention, à chaque instant... Et donc au travail.
Où jouer ? Comment jouer ? Peut-on intégrer le jeu aux enseignements ? Est-il au service des apprentissages ? De l'acquisition de compétences, de savoirs, de savoir-être ? Puis-je me l'autoriser, moi qui ne suis pas formé à associer enseignement et jeux et qui ne l'ai pas vécu ? Si le jeu est un projet, quels sont ses objectifs pédagogiques ?
Je vais essayer de répondre à toutes ces questions que je me suis posé et vais orienter ma réponse en parlant des jeux compétitifs et coopératifs dans le cadre de mes missions d'enseignement. Je suis professeur de Mathématiques dans un des collèges d'une ville dite « sensible » (nos élèves sont surtout sensibles à la relation humaine, au respect et à la considération, aux émotions, etc.), professeur principal d'une classe de troisième, référent de l'action médiation par les pairs par la Communication NonViolente©, un des intervenants du dispositif pour le raccrochage scolaire « PDMF », et responsable de l'atelier jeux. Ces différentes casquettes m'ont permis d'entrevoir différentes possibilités d'utiliser le jeu, notamment en distinguant jeux compétitifs et coopératifs, au sein de dispositifs scolaires.
Pour intégrer le jeu dans l'école, tout ce que je décris au dessus est inutile. Il suffit d'aimer jouer, de reconnaître le jeu comme un besoin humain, manifestement présent chez nos jeunes, nos élèves, dont le conditionnement, non achevé, leur permet de s'autoriser à ne pas toujours dissocier travailler et jeux. Et surtout, il suffit de se l'autoriser – ce qui est peut être le plus compliqué.
Ma motivation à utiliser le jeu dans le cadre des apprentissages est simple : j'aime jouer, et l'une de mes missions est d'accompagner mes élèves, les élèves dont je croise la route dans leurs apprentissages. J'irai jusqu'à dire dans la prise de conscience et le développement des qualités, compétences et intelligences qui leur permettent d'élaborer leurs propres stratégies d'apprentissage, cadrés par les contraintes de temps, de forme et d'évaluation que je leur propose ou impose.
Quel plaisir de jouer : rire, réfléchir, franchir ou contourner des obstacles, s'associer, se dissocier, observer, essayer, se protéger, s'enthousiasmer, s'évader, se concentrer. Voici ce à quoi le jeu contribue pour moi. Alors pourquoi pas dans une salle de classe ? Si les cours d’Éducation Physique et Sportive (EPS) allient à la fois analyse et pratique du jeu, et que l'institution les valide et en établit les modalités, pourquoi pas en mathématiques ?
Les jeux compétitifs mathématiques ont une histoire très ancienne et ancrée, comme en témoigne l'existence des concours « kangourou des mathématiques », « les olympiades des mathématiques » ou encore « Mathador » (il y en a bien d'autres et dans d'autres matières). Certains jeux mathématiques sont même commercialisés. Dans quel but ? Permettre aux apprentis-chercheurs en mathématiques d'accéder au côté ludique de cette discipline. Et en même temps, quelle contradiction : ludique – discipline. Car c'est bien ainsi que nos nommons les matières scolaires.
Est-il donc difficile de faire toucher du doigt le ludique à l'école ? Si bien que des concours, jeux compétitifs, avec classement, mettant en jeu les mathématiques autrement (logique, cas concrets, raisonnement sans justification) soient proposés à l'échelle nationale ?
Effectivement, le jeu, et en l'occurrence, le jeu compétitif a cette vertu : permettre à des élèves ayant un certain niveau dans un champ donné de faire appel autrement voire à d'autres ressources dans le cadre du jeu. Et le classement permet de le faire savoir et peut contribuer à l'estime de soi.
Pour exemple, j'ai un ami zèbre (surdoué - la définition largement et communément utilisée étant en décalage avec la définition neuro-scientifique et posée par les médecins et psychologues) qui me racontait, il y a quelques jours, qu'il était en échec scolaire (comme un pourcentage élevé de zèbres) en mathématiques en première et en terminale de la filière scientifique. Passant un concours national de mathématiques, il finit 10ième (il était en classe de première). Arrivant en retard en classe le jour des résultats, il est acclamé en entrant par tous ses camarades. Le professeur finit par glisser un mot qui mettait en doute les conditions de sa réussite.
Mon ami repasse le concours l'année suivante et finit 6ème à l'échelle nationale (devant les élèves des grandes écoles prestigieuses telles qu'on nous les présente).
Le cas de mon ami est loin d'être isolé. Le jeu fixe les mêmes règles à tous les participants. Et dans le cadre qu'il propose, les joueurs ont toute la latitude de la stratégie pour atteindre les objectifs de la partie, certains allant jusqu'à aller au delà de ce cadre. Car, sans cadre, il n'y aurait pas ce qu'on appelle communément la « tricherie ». La hiérarchie, basée sur les résultats aux évaluations, l'ordre établi au sein du groupe sont donc très souvent bousculés lors des jeux et concours. Si cela nourrit les élèves dont l'image et l'estime souffre en classe, les « têtes » de groupe en sortent parfois déstabilisés.
Nous vivons dans une société où l'évaluation et le classement sont largement ancrés et utilisés comme des ascenseurs sociaux-professionnels. Retirer les jeux compétitifs, tout en côtoyant les milieux usuels, serait une utopie qui pourrait, à mon sens, s'avérer dangereux pour toute personne non préparée. Pourrait-on imaginer un bébé félin, n'ayant pas joué avec sa mère ou ses frères et sœurs, lâché à l'age adulte, seul, en milieu naturel, sauvage (et devoir chasser pour subsister)?
Oui, mon petit lionceau joue, joue pour apprendre. En est-il conscient ? Est-il doté de conscience ? Et s'il l'est, en serait-il conscient pour autant ? Quand il joue avec son frère ou sa sœur, il ne gagne pas ni ne perd, même si tantôt il prend le dessus, tantôt est soumis. Parce que gagner n'est pas son objectif. Entre instinct et impulsion, il acquiert ses réflexes en s’entraînant et s’entraînent en jouant. Sans vainqueur ni vaincu, présenter son jeu ainsi revient à décrire une forme de jeux coopératifs.
Du jeu compétitif au jeu coopératif : Dans le cadre de l'atelier de lutte contre le décrochage scolaire, je fais énormément jouer les élèves. La première fois, je leur permets de créer du lien autrement en jouant, dans le cadre d'un cours, à un jeu compétitif. Car très vite, ils quittent leur posture d'élèves, leur case, leur auto censure ou carapace pour laisser une plus large part à eux-mêmes, en qualité d'être humain. C'est là que j'en apprends le plus sur eux : leader, observateur, tatillon, prêt à solliciter toutes les ressources pour gagner, ne supportant pas l'injustice au point de se mettre en colère... Le jeu en collectif est un des premiers terrains de sociabilisation. Et avec cette conscience, le jeu compétitif est un indicateur très puissant des intelligences intra et inter personnelles, que l'on retrouve dans la société, dans un cadre précis et fixé plus ou moins à l'avance (selon le niveau de maîtrise et de compréhension des règles). Les corrélations entre comportement dans le cadre du jeu compétitif et de la « classe au sens standard » sont, pour moi, sources d'analyse et de travail avec les élèves et un gain de temps. Puisque je suis enseignant, je fais aussi le lien avec le socle commun de compétences et les compétences psychosociales : civisme et citoyenneté, autonomie et initiative.
La seconde fois, je les incite à jouer à un jeu compétitif dont je m'assure qu'aucun d'entre eux ne connaît ni n'a entendu parler. Je leur transmets le jeu et c'est à eux de faire en sorte d'y jouer. Si le jeu est compétitif, les modalités de mise en place du jeu collectif fait appel à leurs intelligences collectives. Je me régale à les observer se débrouiller, certains se positionnant en refusant de jouer et annonçant être observateurs, d'autres débattant sur ce qu'ils on compris des règles... Avant de commencer à jouer et d'être rejoint par le(s) autre(s) voulant partager de l'intérieur le plaisir qui émane de leurs camarades. Pour moi, c'est un jeu coopératif : le but état d'arriver à jouer, le jeu venant du plaisir qu'ils finissent par prendre à échanger, critiquer, contrarier, les propos des uns et des autres dans le but d'harmoniser, de faire naître un consensus et d'arriver à jouer.
Qu'en est-il des cours de mathématiques ou devais-je écrire avec le professeur de mathématiques ?
Je réserve la première semaine (2 à 4 jours selon la date de rentrée des élèves) à faire connaissance. Initié d'abord avec les classes dont j'ai été ou suis professeur principal, j'ai vite saisi l'impact positif. Au cours de cette phase, quoi de mieux que les jeux de présentation et coopératifs. Les jeux de présentation sont pour moi des jeux coopératifs : le but étant d'apprendre à se connaître sans aucune idée de gagner ou perdre. Ainsi, et je joue aussi, se ranger selon l'ordre alphabétique des prénoms, se positionner dans l'espace selon sa croyance sur son niveau d'aisance en mathématiques, etc. avant de jouer en coopération : le tapis volant coopératif (tous sur un tapis, nous devons tous nous retrouver sur la face initialement contre terre en restant dessus. Le tapis vole donc tout pied au sol est synonyme de chute et donc de défaite) Puisque nous devons acter toute tentative pour nous montrer synchrones et coordonnées, c'est l'occasion de donner une considération au minimum égale à chacun. Je leur partage l'idée que je n'ai pas toujours raison parce que je suis un adulte, un professeur, que je ne peux rien faire seul et que nous sommes tous responsables de ce que nous vivons et décidons de vivre.
C'est très clairement le message que je diffuse toute l'année, jusqu'à les solliciter explicitement autour de cercle de paroles pour identifier les difficultés qui ne nous permettent pas de collaborer et progresser dans un climat serein et propice au travail. Je vais jusqu'à leur demander de me formuler des propositions dont j'assure m'inspirer sans tout mettre en œuvre.
En restant attentif à tous, j'en apprends bien plus qu'au travers de la fiche de renseignement de début d'année qui ne me satisfaisait pas. D'ailleurs, je ne la lisais pas. Je crois même qu'au début de ma carrière, étant angoissé et incapable de préparer la moindre leçon avant d'avoir rencontré mes élèves et ainsi savoir comment aborder les savoirs et savoir-faire, je gagnais du temps en en perdre, réussissant à passer l'heure de cours sans faire de mathématiques. Ce qu'il en résulte pour eux : une cohésion de groupe à laquelle je suis inclus, un lien plus humain et une confiance naissant plus vite. Et la conscience de mon humanité !
Jouer en classe : plusieurs cas de figure. Le premier cas est la gestion d'un demi-groupe unique. C'est à dire suite à une formation, une intervention en demi-classe, je n'ai pas la possibilité de voir les groupes s'inverser. Alors, je propose un jeu mathématique ou non, compétitif, paradoxal ou coopératif selon les objectifs et les sujets que je souhaite traiter. Comme ces temps sont souvent l'opportunité de parler de sujets qui touchent les adolescents, il m'arrive de jouer au loup garou, jeu qui, dans son déroulement, met en jeu les perceptions, les « a priori », les suspicions et autres stigmatisations possibles. Il permet de faire le parallèle entre observation (j'ai entendu qu'il bougeait son bras) et les interprétation / jugement (il est coupable puisqu'il a bougé), parler de harcèlement, d'impressions, de regard de l'autre. La mission d'éducation civique, éducation à la citoyenneté est la mission de tous les éducateurs du système scolaire, elle ne repose pas que sur les professeurs d'histoire-géographie - éducation civique.
D'autres jeux trouvent leur place. Pour exemple, les jeux développés pour proposer un cas concret utilisant la matière en question. En mathématiques, un jeu de loi rectiligne avec un dé qui permet d'avancer (avec les nombres positifs) et reculer (avec les nombres négatifs). Ils ont coutume d'être utilisés plutôt en soutien ou lors de séances différenciées. Tout dispositif s'adaptant aux besoins d'élèves peut fait l'objet de propositions alliant le jeu si on réussit à créer un support exploitable.
Enfin, la création de jeux est presque naturellement coopérative. Élaborer un jeu est un jeu, qui se fait aussi à plusieurs où les idées des uns stimulent et évoluent à l'aide des autres. Quel plaisir de pouvoir ensuite tester et faire évoluer les règles ou les façons de jouer. Pour sûr, cet exercice qui se prête, par exemple, au travail d'exploration des métiers et formations dans le cadre de la construction des parcours de nos élèves créent chez eux beaucoup d'enthousiasme.
Jouer est essentiel pour nos jeunes et pour moi. Besoin vital, il trouve aussi sa place dans l'école et les apprentissages et répond à bon nombre de projets et de besoins opérationnels. Et je suis heureux de ne pas avoir à choisir entre jeux coopératifs et compétitifs. Cela n'est fonction que de ce que je décide d'en faire. C'est pour cette raison que j'ai pour intention de poursuivre l'usage de jeux, en lien avec philosophie, valeurs et mathématiques et que, peut être, le premier enfant de la classe, c'est moi. Parce que six, sept heures de cours à rester assis, concentré, à travailler, essayer, douter, buter, échouer, réussir, recommencer. Je ne sais pas pour vous mais qu'est-ce que c'est long pour un ado...